…l’ire nue, 18

 

…Masque fragile

Où tout en futile, le temps passe

Et fuit

Derrière l’obstacle de papier.

 

La course factice du Masque

De l’ennui

Projetant ses brumes glaciales

Contre la paroi de l’âme.

 

Ne pas entendre, ne pas voir –

Ne pas comprendre.

Je porte mon Masque du possible.

Là où rien ne se réalise.

La hauteur des marches

Augmente – seconde après

seconde – jusqu’au

Bord du cœur.

Tout se dramatise.

La branche du chêne, noueuse,

Blanchie après le tumulte des vagues,

Pleure – arrachée à l’oubli.

Oracle lyrique des cordes.

 

La nuit vient,

Tombe et ne se relève.

Pactisant avec l’ombre sauvage

Elle règne sans partage au-dessus des astres.

 

Il faudra au Masque des vérités –

L’herbe crue, jaunie par tant de rapacité.

Avidement, prendre et massacrer.

 

Autorité des pincés,

Douceur avortée des gestes –

Prend sens enfin le son primitif.

 

Et alors, enfin, peut-être,

L’ère des porteurs de sagesse

Témoignera de l’abandon des êtres mutilés.

A mon Masque du sourire

Je donnerai ton visage,

Et le silence en mouvement.



Je retirerai de toi,

Ces liens qui sectionnent le flux de ton sang,

Comme un Masque des souffrances,

Te soustrayant au monde des

Hommes.

 

A l’accordée revient le calme

Du soupir et des distances.

Donne.

Résonne.

Dans le vaste et l’étrange.

Ta lyre de miséricorde.

Aimé

extrait de Dors petit enfant, Agathe Elieva

©A.Elieva, T4

…jour, 155

(crédit photographique : Agathe Elieva)

Un peu de rouge dans ta veine sinueuse, un semblant de clarté dans le flou de ta folie, il s’agissait de t’accompagner encore un bout de chemin. Rouge impair et passe. Je monte finalement dans la rame. Tu n’es pas là. Évidemment tu n’es pas là. Comme prévenu, ce sera mon dos que tu apercevras.

…jour, 101

http://alombreda.tumblr.com/post/111630002539

« Eugène laisse chaque mot encombrer son cerveau, il les voit passer par bande, par bloc, ce sont des parpaings bruts étalés sur le sol, un chantier interdit au public. Il ne saisit pas les vagues de rougeoiement qui le submergent et dérèglent la mécanique huilée de son corps. Ne pas penser, ne pas savoir, avancer. Ressentir le flux des veines lorsque l’effort est trop intense, la tension du pied lorsque les charges sont trop lourdes, le bras éraflé, la tête heurtée, la main calleuse et sale. Charger, décharger, et les mots qui claquent dans sa tête. Courber le dos musclé, dérouler les épaules, râler. C’est un souffle brûlant qui infiltre la matière poreuse et déjà usée du mur qu’il a dressé entre lui et le monde. Petit, il était déjà enfermé là, déjà transparent, un machin de chair et d’os, un corps invisible à sa mère, un coup – clang – un tir à vue de son père. Petit, il était une vie à charge. Grand, il charge des masses. Et hurle dans sa tête les mots en désordre. Une langue étrangère avec quelques bruits de trop : mâcher, éructer, jouir. Il lui semble devoir arracher chaque jour dans la voix creusée de ses reins, le soubresaut enflammé et la buée de sa bouche, le sang vif de ses plaies et son incompréhension du monde. Le corps combat la légitimité de sa pensée. Sa honte et la certitude de n’être rien

. »

La tôle et l’exil, travail en cours, Agathe Elieva

…la lettre nue, 17

Ignacio Uriarte

Ignacio Uriarte

 

Il faudra un jour quitter la terre promise, le refuge, la grotte à quatre sous, deux flaques et autant de bouteilles vides revenues de la mer. Un jour, écouter la voix de son maître, gentille carpette, assis debout couché, couche-toi là, laisse toi faire, malaxer pétrifier coeur refroidi, laisser place à la joie, celle des fêtes de famille au coin du feu de la rue d’un bois, gare au loup. La joie rictus social rassurant calinant sans danger. Il faudra ne plus voir ni entendre, voix de son maître anesthésiant tout. Même les larmes ne seront plus salées, asseptisées dans le formol des tempérances.

…jour, 61

pierre-dubreuil-le-premier-round1932(c) Pierre Dubreuil, 1932

« Pour en arriver à se crever les yeux, il faut avoir vécu dans un aveuglement préalable

(…)

Je ne voyais pas que le cri était cette phrase manquante que je tentais de retrouver dans les méandres des mots et de la beauté.

J’ai réalisé monstrueusement combien ce cri depuis longtemps tu en moi, peines à peines, s’était sédimenté sous la couche opaque des raisons et des acceptations, dans la résignation des tristesses qui ôte tout courage au lendemain

. »

Le cri hypoténuse, juste avant Ciels (théâtre) de Wajdi Mouawad

…L’ire nue, 14

DD-Garouste-1G(Gérard Garouste)

« Dans ma voix, il y a tous les orages et le silence des morts. Ce qui m’a filé entre les mains, ce qui est resté englué dans tous les pores et interstices du temps. Il y a ma faille, et mon désir si grand de la voir  la combler ; tout ce que je voulais lui cacher et qu’elle reconnaissait quand même. Dans la palpitation de ma chair ont surgi les éclaboussures, et le rouge est devenu viscère. »

Agathe Elieva, L’Eclat d’Orso extrait

paru dans Le Zaporogue 13

…L’ire nue, 13

« … sa voix ne jouait plus, sa voix était comme un flot de sang, imposant sa douleur et sa sincérité. »

Agathe Elieva le rouge

« Et la chanson de l’eau
Reste chose éternelle…
Toute chanson
est une eau dormante
de l’amour.
Tout astre brillant
une eau dormante
du temps.
Un noeud
du temps.
Et tout soupir
une eau dormante
du cri. »

Federico Garcia Lorca, Poésie I,

éditions Gallimard, 1954