
le geste nu, 21
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Cronaca di un amore, Michelangelo Antonioni, 1950
© Allan Wallberg
« La dame m’a dit : « vous souffrez d’amnésie ».
Je n’ai pas osé lui répondre que c’était une perte de mémoire au niveau du cœur; c’est vrai, comme un automate, sans y penser il bat, bêtement il continue, alors que juste, c’est vrai, j’ai oublié pourquoi et puis aussi pour qui. Non, je crois que j’ai pris ma gomme, celle que l’on malaxe et perfore sans s’apercevoir de ce que l’on fait, et puis j’ai gommé des visages et des mots aussi. J’ai effacé des pans et une autre réalité s’est fait jour. Je crois bien que j’ai craché un peu dessus parce qu’il fallait lisser tout ça. L’amnésie c’est trop de mémoire que l’on enferme parce que, simplement, ça fait mal. C’est la douleur qui veut ça. Le cœur lui, il s’en fout, il veut juste battre.
A la dame, je lui ai répondu : « C’est la vie. » Elle a marmonné un petit son, noté dans son cahier quelques impressions (fausses) et m’a dit que je pouvais retourner dehors. »
L’éclat, A. Elieva
Jerzy Lewczyński – Etude de Nu, 1975
« Je suis comme nimbée d’un fluide obscurci par tout un tas de ramassis de poussières, des bouts de feuilles, quelques cailloux, une plume – il chantonne son gazouillis et je me laisse emporter par son courant. C’est comme une berceuse d’eau pour ma roche calcaire. Les ondulations de son chant, la sinuosité de son parcours, se frayent un chemin tout au-dedans de moi, la pulsation fait craquer le vernis de ma mélancolie. Je lâche prise, ma proie, mon dos, ma ferveur pour une naïveté illusoire. La lumière se fait. Il n’y a plus que ta chaleur, tout autour, au-dedans de mon sourire, dans mes veines devenues légères.
…De l’aube à midi sur la mer… Je marche, rythme régulier, sans aucune pensée. Ostinato de l’habitude.
Je ne sais si c’est pour attiser la faim ou éviter l’écœurement mais je marche. Chaque seconde est froissée sous mes pieds. Ils dansent mes impuissances et tous mes débordements. Ces derniers, comme des bijoux de peau, éclatent, lancés vers le ciel, ils atteindront ton cœur, un jour, amour. Quelques grains de chair affleurent sous la cuirasse d’apparat. Le temps est clair, amour, il est le tien. La lumière de midi ne me fait presque plus peur. Le feu couve sous l’ostinato clément.
On pensait pouvoir faire taire les hyènes par nos postures, actes, choix. Je continue comme si tu étais là, en sachant que tu fais pareil là où tu te trouves. L’obstiné de nos voix et de nos regards leur tient tête. Nous creusons, trifouillons leurs failles. Et même si, de leur voix aigrelette, elles me disent que tu as disparu, je clamerai quand même. Je ne veux pas rogner mon idéal, son instabilité. Dans cette instabilité et l’indélicatesse de ces heures qui se jouent de moi. Cet absolu est tout ce qui me reste. »
L’éclat, Agathe Elieva ©2013
(crédit photographique : Agathe Elieva)
Un peu de rouge dans ta veine sinueuse, un semblant de clarté dans le flou de ta folie, il s’agissait de t’accompagner encore un bout de chemin. Rouge impair et passe. Je monte finalement dans la rame. Tu n’es pas là. Évidemment tu n’es pas là. Comme prévenu, ce sera mon dos que tu apercevras.
Sasa Gyoker, 2016
« Ce n’est pas le matin, ce n’est pas le soir. C’est entre matin et soir. Un peu de matin, un peu de soir. De la corde, je ne vois que le balbutiement du linge. La main seule, et suspendue. Elle se balance avec les terrasses et leur chaux. Je vais sentir peut-être l’odeur de la main car elle est proche de celle de la chaux et sentir derrière elle, celle qui ne dort pas dans un lit. Rien qu’une main. Je verse du thé et la main tendue tend le verre pour que les doigts touchent les doigts. La bague se noue à mes lèvres. Et je manque de m’asseoir dans le silence. Pourquoi la main, la bague, le verre ? Un chemin de la main à la main. Incident entre main et main. La main a abandonné la lune hors de la chambre. Moi je sens l’odeur du henné. Une branche fond dans ma voix. Un peu de main dans ma bouche ou sa bouche. Je livre la main pour qu’elle soit plus haute que ma poitrine. Le thé brûle. Le henné, la chaux. Ma tête paisible sur terre. Je passe la main sur la main. La main sans livre parce qu’elle est main dans la main. Et la langue sur la peau. Elle tête pour ne pas dormir. Un peu de henné, un peu de gémissement. La main qui tendait le verre ne l’a pas encore rendu. Jeu passionnant. Le verre. Quand je me suis étendu par terre, j’ai saisi une main et le verre est parti en flammes. Ma main sur la peau. Silence, langue, relâchement des organes. La poitrine se penche sans avoir l’air de se pencher. Un arbre tourne autour de moi. Piliers de marbre et nous sur une natte. Peau brune qui se dénude. Demi-sommeil entre deux cités. Appel d’en bas. Intense soulèvement. De la terre jusqu’à la terre. Nul objet n’abandonne l’objet. Deux ravages. Ils s’ouvrent dans la tempête des choses. Se laissent, se rencontrent. Dans tous les sens. Rôle que j’avais oublié. Sur ma main ou sur la sienne. Violences vos déchirures. Perte des organes. Entre un peu de matin, un peu de soir. Le verre vole en éclats. Hurlement. Maître du silence et maître du vide. »
Pour toi, Mohammed Bennis
dazed, Thobias Malmberg
© Jean-François Bory, Piano solo, 1972
« …toute clarté projette une ombre…
Snorri joue presque quotidiennement à l’harmonium du Bach, du Mozart, du Chopin, mais aussi parfois des mélodies dissonantes, nées de la douleur et de la culpabilité. La musique n’a pas son pareil. Elle est la pluie qui arrose le désert, le soleil radieux qui illumine les coeurs, elle est la nuit qui console. »
Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson
Daniel Le Breton
«
Ils étaient deux :
son ombre et lui
. »
Pasolini