…le geste nu, 15

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Ferdinando Scianna

« 

Elle s’allongea en posant sa tête près de mon genou. Je pouvais la voir par en haut, une de ses mèches dépassait du bateau et flottait dans le tangage de la proue. La mer scintillait tant derrière elle qu’il fallait fermer les yeux. « Parfois, dans certains de tes gestes, tu ressembles à une personne qui m’aimait bien ». Elle le dit doucement, en dessous du niveau sonore du diesel qui tournait. Je rougis comme si elle l’avait crié au monde entier dans un haut-parleur. Elle le dit sans devoir ouvrir les yeux. « Toi, tu l’aimais ? » Caia fit un léger oui de la tête.

Nous nous rendions à la sèche de Capri. Le voyage continuait. J’avais aiguisé mon oreille pour percevoir la fréquence de sa voix, je l’aurais entendue même en pleine tempête. De l’arrière, on ne pouvait voir que nous étions en train de parler. Je répondais sans la regarder, fixant la proue, disant des mots au vent. Il y eut une vague plus haute, je la vis arriver et je compris qu’elle allait faire rebondir légèrement sa tête contre le bois, aussi, au moment où l’avant se cabra, je glissai ma main entre sa nuque et la barque, pour amortir le coup. Je la retirai aussitôt. Caia me regarda par en dessous, avec le sérieux d’une enfant à la fenêtre qui attend un retour. Elle voyait quelque chose au loin, bien derrière moi, une main qui tenait sa nuque qui sait combien d’années plus tôt. Je la regardai dans les yeux, je pensai qu’elle me voyait à contre-ciel sans personne autour, sans terre

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Tu, mio Erri de Luca