…l’ire nue, 18

 

…Masque fragile

Où tout en futile, le temps passe

Et fuit

Derrière l’obstacle de papier.

 

La course factice du Masque

De l’ennui

Projetant ses brumes glaciales

Contre la paroi de l’âme.

 

Ne pas entendre, ne pas voir –

Ne pas comprendre.

Je porte mon Masque du possible.

Là où rien ne se réalise.

La hauteur des marches

Augmente – seconde après

seconde – jusqu’au

Bord du cœur.

Tout se dramatise.

La branche du chêne, noueuse,

Blanchie après le tumulte des vagues,

Pleure – arrachée à l’oubli.

Oracle lyrique des cordes.

 

La nuit vient,

Tombe et ne se relève.

Pactisant avec l’ombre sauvage

Elle règne sans partage au-dessus des astres.

 

Il faudra au Masque des vérités –

L’herbe crue, jaunie par tant de rapacité.

Avidement, prendre et massacrer.

 

Autorité des pincés,

Douceur avortée des gestes –

Prend sens enfin le son primitif.

 

Et alors, enfin, peut-être,

L’ère des porteurs de sagesse

Témoignera de l’abandon des êtres mutilés.

A mon Masque du sourire

Je donnerai ton visage,

Et le silence en mouvement.



Je retirerai de toi,

Ces liens qui sectionnent le flux de ton sang,

Comme un Masque des souffrances,

Te soustrayant au monde des

Hommes.

 

A l’accordée revient le calme

Du soupir et des distances.

Donne.

Résonne.

Dans le vaste et l’étrange.

Ta lyre de miséricorde.

Aimé

extrait de Dors petit enfant, Agathe Elieva

©A.Elieva, T4

…jour, 168

 

Bagnolet 21.12.19

©A.Elieva, Bagnolet

OKLM l’oracle ou l’avènement de la Secte Up Nation :

Il y a un nouveau graf sur le chemin le long de la voie, il est apparu la nuit dernière en lettres d’argent “oklm l’oracle”, voilà oklm ta prophétie archem oklm.

oracle (n.m.)
1.personne qui parle avec autorité ou compétence.
2.personne qui annonce l’avenir. Augure, devin.
3.(figuré)décision autoritaire ou opinion exprimée avec autorité.
4.(antiquité)réponse, prophétie qu’une divinité était supposée donner à ceux qui la consultaient sur le sujet de leur choix.

calme (n.m.)
1.état de ce qui ne connaît pas d’agitation.
2.absence de vent
3.période courte de temps calme (ex. le calme avant la tempête.)
4.état sans trouble.
5.silence tranquille « le calme de la nuit  »

Le grand principe de la manipulation mentale est que l’on cherche à nous déposséder de notre histoire. On nous martèle que l’on se trompe sur ce que nous vivons – et pourtant malgré tout, nous vivons et respirons. Jugement, humiliation, mépris, double langage, la supériorité de quelques-uns s’expriment avec ces procédés. Ce qu’il nous reste ? Vivre, créer, recréer, agir, résister pour respirer – alors même que certain.e.s d’entre nous meurent étouffé.es sous les coups, genoux, portières, guet-apens, courses poursuites, amusements d’un soir, contrôle de tous les jours.

Qu’est-ce qu’une dérive sectaire ?
Sur la base de l’expérience de la Miviludes, qui reçoit quelques 2 000 signalements par an, la dérive sectaire peut être définie comme suit :
Il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.

Je ne suis pas experte en politique ou en débat mais en secte oui. En manipulation mentale, oui. J’ai été une enfant cible comme le ministère public le nomme . Je le suis toujours d’ailleurs. De cette manipulation mentale, de cette aliénation, on ne se remet pas tout à fait lorsqu’on s’en extrait. Elle nous a construit. Et dans mon cas, elle a fait de moi cet être allergique à toute forme de dogme. J’ai développé le radar à dérive sectaire, à comportement à risque, à danger.

Le principe d’une secte est la confiance aveugle en un maître suprême, celui qui par essence sait tout mieux que les autres.
Il a, en règle générale, été choisi par une force supérieure. Souvent d’ordre divin, de force supérieure, d’invisibles entités, parfois l’argent et lo’rdre financier mondial réuni les trois.
Le maître suprême, le gourou, le chef, il faut bien s’en rappeler, porte la lourde charge divine, de devoir pédagogiquement et avec abnégation apprendre à la communauté ce qu’elle ne peut apprendre par elle-même. Il doit patiemment rappeler les ordres, les règles, les vérités consignées et transmises par voie supérieure. Le chef est seul. La solitude est une abnégation, un poids, une contrainte. C’est ce qu’on appelle la solitude du pouvoir. Mon ascendant à moi appelait cette solitude : sa générosité aux autres.

Le maître a besoin d’une cour, de gens, de disciples, de faire valoir, de petites mains, de porte flingue.
Il leur adresse la parole, confie des secrets, leur fait sentir combien ils sont privilégiés, extraordinaires, spéciaux, uniques. Le suiveur est omblé, son orgueil nourri, son appétit rassasié pour un temps. Le chef ne les regarde plus, les ignore, parfois même les expulse de sa sphère. Il leur fait comprendre que rien n’est jamais acquis, que c’est selon leurs actes d’allégeance au système, à la doctrine, les suiveurs apprennent donc que leur place auprès de lui, si ils veulent la maintenir, il va falloir se battre pour la garder, être très sage, rendre des services, se vendre, baisser son froc et plusieurs fois, compromission et soumission. Tu signes en bas de page sans lire tous les petits asterisques. Pas besoin. En contrepartie tu es protégé. Etre suiveur c’est être protégé tant que tu es utile et que tu donnes ton sang.

Le chef te caresse et te fouette. Il t’humilie et te flatte. Petit à petit, tu es infantilisé, perdant tout libre-arbitre dans un sentiment de toute puissance car tu es convaincu d’être initié à la Vérité. Avec une majuscule. La secte aime apposer des majuscules aux mots forts, aux mots clés, ceux qui rentreront dans ta matrice intellectuelle et pour lesquels tu seras amener à te battre. Contre tout bon sens terrien comme on dit. Le bon sens de la terre. Avec noblement une minuscule. Bientôt, tu n’es plus apte à comprendre et à distinguer l’objectivité d’une réalité. Mais tu es tout puissant. Du bon côté des choses, de celui qui détient la connaissance. L’égo encore lui. Le syndrome du petit préféré aussi. De l’enfant rejeté parfois. Des faibles toujours.

Les disciples de l’Elu nourrissent l’espoir de prendre un jour sa succession. Si ils sont bien sages et obéissants. S’ils marchent au pas. Le doigt sur la couture.Qu’ils se trompent ! Pour les adeptes de mon ascendant, j’étais la fille de l’élue. Et puis un jour j’ai enfin réussi à partir. Ils m’ont harcelé chacun leur tour, plus ou moins gentiment, pensant gagner des points. Je ne sais pas pour eux, mais mon ascendant à moi a perdu ma trace.
Dans une secte, il faut des adhérents, des disciples, des divulgueurs de bonne parole, des qui marchent aussi. En trottinant cahin-caha derrière, et surtout sans dépasser.

Un jour, le chef du pays est arrivé marchant, jeune pas beau manches relevées et promettant un monde nouveau, celui de la société civile, celui de potiliques à côté de la Politique, du côté de la société citoyenne. Au centre. Ne prenant pas position, ou plutôt au-delà de tout clivage. C’est l’arrière garde ça le clivage. Restons neutre en apparence. Et massacrons. Annonce d’un monde aux alouettes nouveau, jeune et amateur, loin de la cuisine des anciens, un monde neuf qui apporte son lot de rêves à l’écoute de chacun, dans un grand débat que le chef mène comme bon lui semble, arranguant la foule en l’épuisant dans une diatribe interminable, une dialectique d’érudit à grand renfort de citations et d’expressions désuètes. Ce serait à en rire, comme on pourrait rire du grand-oncle pendant les réunions de famille, famille française traditionnelle dans la maison de campagne héritée depuis 3 générations. Le terroir l’air de rien. L’air de rien de ceux qui ont beaucoup travaillé, sous-entendu, ceux qui ont fait beaucoup travailler d’autres qu’eux, ceux-là qui doivent les en remercier du haut de leurs congés payés.
Ce serait à en rire. Mais on n’a pas le coeur à ça.

Marchant il est élu, par le dieu du capital, le dieu soleil aux pyramides, le dieu Râ d’Egoût.

Il marche, cependant assis sur son trône dans le grand jardin à bronzer et devenir orange puis vert. Il nous infantilise à grand renfort de pensées complexes. Il ment superbement, rassasié de toutes ses illusions. Oh et puis il n’y a pas que lui qui le dit, ses disciples aussi bien entendu. Il n’est pas seul. Il n’est pas forcément en première ligne. D’ailleurs souvent il se désolidarise comme un bon gourou qui sait bien jouer avec le chaud et le froid. Il ne sera pas solidaire avec sa troupe.

Le chef a l’impunité psychologique, la toute puissance. Il s’entoure d’une cour de laquais. Il écarte ceux qui déçoivent, il prononce des jugements, confortés par la présence de ses sujets, écartant les autres, tous les autres qui ne sont pas dignes de recevoir sa parole, du moins directement. On ne convoque plus les journalistes, on met une distance avec son peuple, on ne l’écoute pas, on le nie, on le maintient dans un double langage, on le tue à coups de dénigrement et de négation. Ils se rabaissent à notre niveau de pauvres gueux non initiés, non élus. Nous ne pouvons pas les comprendre ces pensées trop complexes car nous ne sommes pas des initiés. Eux savent mieux que nous ce qui est bon pour la société. Nous n’avons plus qu’à les suivre et surtout à la fermer, sinon repressions violentes cela donnera une leçon aux suivants.

 

Garges 4.03.19

©A.Elieva, Garges-lès-Gonesse

 

Le gueux est celui qui doute, le pauvre, il n’a pas accès à la connaissance. Il n’est pas digne d’être sur la ligne (sectaire). Il n’est même plus à convaincre le gueux car jamais il ne sera disciple et le chef n’a pas besoin de compter dessus. Non, il est à écraser tout simplement puisqu’il n’est pas utile. Alors le chef ordonne à ses pions télécommandés – vidés de leur substance d’humanité – de se placer pour en première ligne pour défendre le mouvement. La manipulation mentale a oeuvré tellement facilement qu’ils le font sans broncher, avec fierté même, et cette assurance de régner pour les siècles des siècles. Et ils écrasent sans émotion aucune. Ils ne peuvent plus remettre en question les ordonnances, ils obéissent, bienheureux d’être investi par leur chef, missionnés par lui, digne de sa confiance. Seule la mission est compréhensible par l’élu car c’est lui qui en dicte la totalité. Le pouvoir. Les disciples suivent. Ils trottinent. Ils marchottent. Mon ascendant à moi a missionné trois personnes pour interdire une lecture théâtrale et musicale, les a fait crier au scandale, les a fait menacer de procès en diffamation. Il est restée dans l’ombre à l’abri, loin des tribunaux et du jugement des hommes. J’ai rêvé de l’entendre couiner lorsqu’il tomberait pour ses abandons. Et puis j’ai passé mon chemin.

La manipulation mentale réduit à néant tes facultés intellectuelles. Le libre-arbitre devient caduque. L’opposition ne peut exister puisqu’aucun crédit ne va être apporté à tes dires. Le désir d’ordre et de repression est entier : tout pour contraindre et ne pas négocier. On ne négocie pas avec Dieu.
On jouera de fausse empathie et de compassion, comme tout ceux qui après la messe dominicale change de trottoir car tu redeviens soeur d’handicapée et infréquentable.

Gilles Deleuze parlait de « peuple du milieu » pour qualifier ces femmes et ces hommes qui traversent nos sociétés, ces nomades de nos modernités qui dérangent l’ordre par ce mouvement infini, cette réticence absolue à se fixer, à s’arrêter . Les gens du voyage. 
Pourrions-nous parler de « peuple d’en-dessous » imaginant par là même la réalité d’un peuple au-dessus : des lois, des formations, des justices, des autres ?
Coulée d’acide, gaz lacrymo dans la gueule, flashball pour tous, justice pour eux, prison pour nous. Ou décompte de nos mortes sous les coups. De nos enfants et de nos jeunes. De nous tous éborgnés et niés.

Trois années, de saisons de révoltes en longs mois de manifestations, de violences policières en jeunesses humiliées, noyées, abattues. Plusieurs saisons ont passé dans nos rues – et puis tous ces silences condescendants, ces phrases toutes faites du bienpensant, du mal documenté, du canapé en cuir dans l’appartement des beaux quartiers, de la peur des périphéries plus ou moins lointaines.

Et puis cette colère qu’une certaine classe dirigeante refuse de comprendre, de reconnaître. Au mieux elle la trouvent exotique. Piquante. Certains pourraient la punaiser sur leur mur d’influences, mur d’inspirations, murs de trophées. Cela fait parler dans les dîners. Qu’il est toujours délicieux ce bouc-émissaire que l’on dénigre, mets délicats de racisme pour fin gourmets de chasseur de gibiers.

On puise notre énergie, patiemment, ils ont le temps tellement persuadés de régner longtemps sur nous. Bientôt ils comptent sur notre faiblesse, notre épuisement, nos cicatrices d’humiliation qui nous maintiendraient à genoux, mains dans le dos, un peuple qui se tient bien sage. Et puis ils misent sur notre ignorance et notre bêtise. Du pain et des jeux, disaient-ils.

Pour le marcheur, nous ne sommes que de pauvres herres à trancher de notre histoire. La rupture avec le passé. La fameuse rupture, fracture. Avec « avant ». Rompons donc avec l’héritage de 1946, détruisons ce qui a pu nous rendre fiers et exemplaires. Mettons à bas, propageons des mensonges sur lesquels jamais nous ne reviendrons. Ce ne sera pas utile. Au contraire je dirais même : ils s’amusent avec nous. Benalla n’est qu’une marionnette sanguinaire au-dessus des lois, le favori du Roi intouchable. La caste du géant. Le filleul de l’Elu au vu de tous. C’est quand même ça qui est incroyable, l’impunité du chef de bande qui n’envisage jamais de payer un jour pour les injustices commises.

Depuis trente ans, une politique de la petite enfance tente de se mettre en place : missions, rapports, projets de loi, mouvements professionnels. Tout est connu par les ors de la République, jamais débattu. Depuis trente ans, et toutes les conclusions des expertises professionnelles concernant l’importance de l’accueil du jeune enfant pour qu’il puisse se déployer dans toute sa richesse, pour enfin rompre les inégalités sociales et culturelles etc. depuis trente ans donc, j’aime le répéter parce que c’est long, et que cela marche ainsi, depuis trente ans aucune mesures politiques n’a été prises. Absolument aucune.

Depuis 2019, est apparu une nouvelle notion concernant l’enfance : celle de santé culturelle. C’est-à-dire la santé de nos relations et de nos liens . La « malnutrition culturelle » c’est un ensemble de comportements qui entravent la qualité du lien parent-enfant et in fine du lien social. On nous pèse, on nous mesure, on soigne notre corps. Serait-il pour qu’il soit opérant et propre au travail ? Je ne suis pas qualifiée pour apporter une réponse mais je pose la question.

Et puis finalement, le vent finit par tourner. Depuis 2007 il en aura fallu du temps. Depuis juillet 2016 il en aura fallu du temps, de l’obstination. C’est alors que le jaune, le noir, le poing levé, la noyade, le meurtre, le mensonge crasse, se sont incrustés dans la société.

Arracher sa liberté. Y revenir sans cesse. Résister pour ne pas se laisser vider de sa substance. Rectifier les discours. Rester clairvoyant. Sain d’esprit. Libre, autonome, vivant. Notre coeur respire, chérissons notre chance. Agissons. Sans justice pas de paix.

Barbès 20.01.18

©A.Elieva, Porte de Clignancourt

…jour, 165

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© A.E. place de la République, 7 janvier 2015

 »

Chaos des jours qui suivent.

Luz hagard sur la place de la République.

La salle du hublot transformée en cellule de crise. Les policiers partout.

Les dessins et hommages qui recouvrent les murs de la capitale, mais l’adjointe à la maire de Paris qui me dit qu’il ne sera pas possible d’afficher le dessin de Cabu sur les panneaux de la mairie parce que « C’est dur d’être aimé par des cons » pourrait heurter des sensibilités.

…/…

Cet avocat sorti d’on ne sait quel placard à dossiers mal fermé, bedonnant cravaté, qui vient nous expliquer ce qu’on peut faire pour lui. Qui se permet de nous engueuler. Qui invite un type de Valeurs actuelles à l’enterrement de Charb et qui m’écrit que je suis aussi intolérante que ceux que nous prétendons combattre.

Quelqu’un qui annonce à la ronde : ça y est, ils les ont eu. Hochements de têtes.

Notre cortège dans les rues vides du 11 janvier. Les applaudissements des riverains qui percent le silence. Les fenêtres s’ouvrent pour brandir des dessins; les policiers crient de rentrer chez soi et les vitres claquent d’être vite refermées. Jul dit : on dirait un calendrier de l’avent. (…)

La beauté de la femme de Luz, sûre d’elle rassurante. (…)

L’organisation des enterrements. Les conflits d’emplois du temps, de lieux, de dates. Les tensions, la fatigue. L’idée monstrueuse et dérisoire de faire un Doodle pour mettre tout le monde d’accord. Foolz qui éteint l’ordinateur en disant Laisse tomber.

Les nouvelles des blessés. Les premiers mails échangés avec Simon sorti du coma, son humour qui nous scie; lui en tout cas, il est Charlie. La rédactrice en chef de Libération nous adresse la chronique de Lançon écrite depuis son lit d’hôpital. Ce que c’est que porter la plume à la plaie. (…)

Des messages de soutien de partout, des cadeaux, des dessins, des livres, des bouteilles de whisky hors de prix sifflées en dix minutes. Parmi les citations de la part d’amis qui ne trouvent pas leurs mots, une phrase de Sony Labou Tansi : « j’exige le courage tragique de se marrer en connaissance de cause ». (…)

La couverture de Luz « Tout est pardonné », placardée partout dans Paris par les kiosquiers. L’envie de la déchirer puisqu’elle me déchire. Mais à force de la regarder, s’habituer. S’y raccrocher comme à un rayon de paix, espièglerie, d’enfance

.

 »

Calme et tranquille, Valérie Manteau édition Le Tripode

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© A.E. les fenêtres du 11 janvier 2015, Canal Saint Martin

la ligne nue, 1

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Denis Roche. 27 juillet 1978. Uxmal. Mexique

« Le photographe n’aura retenu qu’une seconde de tout ce qui se sera passé sous ses yeux. Rien de comparable n’existe dans un autre domaine de la création. Cela provoque la peur – une vie de créateur ramassée en une seconde – et en même temps ne suscite aucun sentiment de frustration. Photographier, c’est traquer, obstinément. La création est cette recherche obstinée : atteindre une seule fois ce dont on s’approche sans arrêt : la beauté. Juste avant la prise photographique c’est le temps qui règne, et juste après, c’est la beauté

.

 »

Denis Roche, les temps du photographe. Entretien réalisé par Pascale Mignon et Marina Stéphanoff (Erès 2006), découvert dans La montée des circonstances (Delpire éditeur)

 

…jour, 107

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« Cogner. Poing horizontal ou vertical, alignement métacarpien, attention au 27 os de la main, la force viendra de ton pas, de ton pieds, tu ne cognes pas tu envoies ton jab, si loin si proche, le pas et la distance, et tu frappes. Pour ne pas fuir non, pour changer de place. Plusieurs couches de bande, une momie adhésive qu’il faudra couper, décoller, une peau morte, blanche teintée de sueur. Endolorie, la main ne touchera plus qu’armée de gant

. »

Agathe Elieva, la tôle et l’exil

…jour, 101

http://alombreda.tumblr.com/post/111630002539

« Eugène laisse chaque mot encombrer son cerveau, il les voit passer par bande, par bloc, ce sont des parpaings bruts étalés sur le sol, un chantier interdit au public. Il ne saisit pas les vagues de rougeoiement qui le submergent et dérèglent la mécanique huilée de son corps. Ne pas penser, ne pas savoir, avancer. Ressentir le flux des veines lorsque l’effort est trop intense, la tension du pied lorsque les charges sont trop lourdes, le bras éraflé, la tête heurtée, la main calleuse et sale. Charger, décharger, et les mots qui claquent dans sa tête. Courber le dos musclé, dérouler les épaules, râler. C’est un souffle brûlant qui infiltre la matière poreuse et déjà usée du mur qu’il a dressé entre lui et le monde. Petit, il était déjà enfermé là, déjà transparent, un machin de chair et d’os, un corps invisible à sa mère, un coup – clang – un tir à vue de son père. Petit, il était une vie à charge. Grand, il charge des masses. Et hurle dans sa tête les mots en désordre. Une langue étrangère avec quelques bruits de trop : mâcher, éructer, jouir. Il lui semble devoir arracher chaque jour dans la voix creusée de ses reins, le soubresaut enflammé et la buée de sa bouche, le sang vif de ses plaies et son incompréhension du monde. Le corps combat la légitimité de sa pensée. Sa honte et la certitude de n’être rien

. »

La tôle et l’exil, travail en cours, Agathe Elieva

…jour, 99

Joana Linda

Joana Linda

« (…) tu saisis bien vite que ta langue est rustre, courtaude, plus policée que celle que l’on parle dans le quartier d’où tu viens cependant, mais qu’elle râpe les oreilles de tes professeurs, de tes camarades, de leurs mères. Il faut écouter, imiter, t’imprégner. (…)

Apprendre, apprendre leur langue à eux. Chez eux, la langue possède le cul, le domine. Chez toi, c’est l’inverse. Apprendre, apprendre cette langue qui ouvre le cul des bourgeoises comme un sésame. Tu ne connaîtras jamais assez, tu ne la maîtriseras jamais totalement. Les mots t’échapperont que tu remplaceras avantageusement, crois-tu, par d’autres, extraits du glossaire qui a cours dans ton quartier.

Construire le mur de brique qui donne accès au balcon, à la terrasse, aux seins chauds, menus, tendus. Accepter que le mur comporte des trous et même le vouloir. Combler les trous de la glaise, de la boue qui engorge ta bouche, montrer ce mur lorsqu’il est édifié et faire croire que tu as fait les trous exprès, pour le plaisir de les combler avec la glaise, avec la boue.

Puis vient le bac, et ce qui s’ensuit. Les premiers jours de fac. Tu te perds. Tu ne saisis rien. Tu n’as pas la moindre idée quant à la façon dont les choses sont supposées se dérouler. Tu t’enfermes dans un profond mutisme. Certaines condisciples, peu nombreuses, t’envisagent ténébreux. Les professeurs, eux, n’ont pas besoin de t’entendre. Tu ne trouves ni le code ni la combinaison. Tes gestes sont trop secs, tes réflexes sont d’un cancre. Ils savent qu’ils ne te verront pas longtemps, ne se donnent pas la peine de noter ton existence puisqu’elle sera brève, intermittente, inexistante pour tout dire.

Les condisciples mâles t’ont jugé avec la même acuité que les professeurs. Des mâles. Tu ouvriras la bouche une fois, deux, en tout et pour tout. Et ta langue tailladée fera à leurs oreilles un bruit de casseroles. Et l’idée exprimée sera mal dégrossie, à peine ébarbée. un caillou brut, un avis qu’aucun outil n’est venu dépolir. Pour la première fois, tu perçois réellement la laideur de cette langue que tu as dans la bouche. Tu comprends vite qu’ici tu ne pourras pas t’imposer. Le mélange que tu as cru inventer ne prend pas. Tu te réfugies dans le silence. Mais ton silence est bouffi de langue, plein à dégueuler. Alors tu t’obstines, tu prends la pose et tu clames que la langue est une putain. Il faut la sabrer. Mais tu ne t’autorises pas à la sabrer, toi. Tu es pétrifié par elle. A pleins poumons tu la traiteras, la langue française, de salope, mais tu ne la baiseras qu’en lui demandant pardon, pardon. Tu la considéreras toujours comme une pute au petit cœur. Elle te laisse la prendre, te fait croire qu’elle décolle, qu’elle jouit. Puis tu paies, tu te rhabilles et tu descends les escaliers seul. Et puis un autre monte. Elle t’a donné des trucs à rêver avant de te laisser filer comme l’eau du caniveau. L’eau vivante.

Tu l’aimes, cette langue. Tu l’aimes virile, tu aimes l’entendre, tu aimes regarder ses nerfs quand ils sont à vif, et leur crissement aigu est la plus belle des musiques. Tu aimes lorsque la couleur qu’elle exhale est celle de la graisse et du cambouis. Qu’elle soit noire, crasseuse, immense. Lorsqu’elle est raffinée, blanche comme le sucre, insaisissable comme un parfum, subtile comme le goût de la truffe, elle t’échappe, se refuse à toi. Tu la désires taillée dans une viande crue et rouge, à pleines mains.

(…) »

La terre sous les ongles, extrait, de Alexandre Civico, éd. Rivages