
(source inconnue)
(source inconnue)
© PeritUtVivat
«
Tu t’avances ? Moi aussi. Aussi près ? Là où tu ne pourras plus bouger sans cogner, dans l’espace ouvert d’un deux. N’avance pas trop avec tes bleus. Je suis démuni, je prends vite la couleur. Ne te répands pas, je pourrais disparaître. Reste, sans que je le dise. Je déshabillerai mon sentiment, tu verras, tu ne feras rien d’autre. Tu regarderas un petit peu, sans t’aveugler, sans trop plisser les yeux. Tu feras attention à tout, chaque lieu de chair, chaque ligne, chaque odeur. Tu n’apprendras rien que tu ne savais déjà. Et pourtant, il faudra toucher, faire sensation, une minuscule parcelle de contact suffira. Peu importe, si tu te repères mal, tu chanteras le chemin. Ta main noueuse fera ronce à l’ombre d’une grande feuille vierge et vaine. Elle écorchera un grain de beauté sur le mollet, elle me retiendra, molle et attendrie, la chair ouverte au couteau d’amour, ciselée et éclatante, sabrée.
Il faudra se taire, pour une fois. S’incliner devant ceci. Ou cela. Ce que tu diras ou pas. Ce qu’il reste de promesse grimpera, tortueux, autour de mon cœur, le consolidera. Il sera ton tuteur, il sera mon os. Je n’avancerai plus. Ton angle suffira, je saurai y prendre forme sans crier sans souffler. Tes mots vaudront des gestes, ils toucheront l’espace, évanouiront le temps. Tu diras ce qui ne se dit pas mais sans regrets ni arrière-pensée. Tu étaleras dans mes yeux ta peau. Mais tu réserveras ton sourire pour quand le geste est geste, simplement, sans penser. Les secrets de la grâce, ivres, défileront, titubant. La maladresse les aura peut-être dressés à demeurer sauvages.
Alors nous tomberons ensemble, pantins enfants, animaux perdus, humains rageurs. Et de la reddition de nos corps brinquebalés, nous tirerons une jouissance fine et légère, un embaumement des nerfs, tendus comme des arcs. Il sera temps d’abolir le monde pour se draper dans ses souvenirs, de sacrifier l’avenir aussi, en lui pétant les jambes. Parce que tout est là, qui s’égrène, dans nos paumes lisses et blanches. Un maintenant fragile, que le givre veut casser, tend ses doigts quelquefois. Il attrape les corps pour se prolonger et les agite, hochets débraillés. Et consentants. Sans drap pour nous couvrir, que verrait-on de pur ? Une transparence. Que verrait-on du jour ? Deux corps silex qui se frottent et, bientôt, une lueur léonine. Ça suffit, pour tout cela.
«
Le geste nu, Sophie Blandinières
Nino Mogliori
« et la pluie qui nous cingle,
fragiles, à moitié courbés, luttant contre les rafales à la cadence indomptée, nos mains nous tiennent. Peau contre peau tu sais, les jointures enchâssées, la parole nous échappe et, ne m’en veux pas, je préfère qu’il en soit ainsi. J’ai moins peur de mon ridicule et de ta dureté. Nous avançons dans la nuit maintenant tout à fait noire, nos cœurs dans la paume nous tenterons d’unir nos déserts un peu plus tard
. »
…
espace laissé vide, rendu blanc, transparent, riche d’inaudibles, efface
.
Emak Bakia, Man Ray, 1926
H20, Ralph Steiner, 1929
Wim Wenders, les ailes du désir, 1987
Pierre Soulages à Sète par Denis Roche, 1977
«
C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche
. »
Pierre Soulages
© Michel Dieuzaide, musée Soulages
© H. Watanabe
The song of wandering Aengus
«
J’allai jusqu’au bois de noisetier
poussé par un feu dans mon cœur
Je taillai une ligne de noisetier
Et pendis une baie à mon fil
Et quand les phalènes reprirent leur vol
Et les étoiles filantes leurs sauts
Je plongeai la baie dans le torrent
Jusqu’à y prendre une truite d’argent
Quand je l’eus posée là par terre
J’allai pour remettre le feu en flammes
Mais quelque chose bruissait là par terre
Et quelqu’un appela mon nom :
Ce fut soudain une pétillante fille
Des fleurs de pommier aux cheveux
Qui appela mon nom puis s’en fut
Disparut dans les brumes de l’aube
Or bien que vieilli de voyages
Par basse terres et hautes terres
Je trouverai où elle se cache
J’aurai ses lèvres prendrai ses mains
Et j’irai le long des longues herbes mures
Cueillant jusqu’au bout du temps et des temps
Les pommes d’argent de la lune
Les pommes dorées du soleil
. »
La chanson du voyageur Aengus, William Butler Yeats
© écriture de poète, manuscrit WBY
Bernard Plossu
«
Moi aussi j’ai voulu plus souvent qu’à mon tour, raconter des histoires, des romances qui, oui enfin, sonneraient juste, oui, des histoires-des romances dont l’écho enfin se prolongerait longtemps – saurait caresser les oreilles délicates du monde, oui longtemps, des histoires écrites dans le sable, c’est ça, le sable, vous savez, c’est aussi parfois autre chose que cet élément plein de flou – de fuite – de tentatives éperdues d’échappement – de destins qui glissent de lâcheté en lâcheté, autre chose, oui, que ce truc mou – nuisible à l’essentiel. Le sable alors, nos doigts poissés d’angoisse pourraient s’y enfoncer en attendant des heures – des jours meilleurs. Le sable, vous savez bien, c’est ce moment m lorsque tout à coup la vie – nos doigts qui s’accrochent au vide – apprend à se passer des descriptions. C’est ce moment que tu choisis pour me dire je t’aime. Et c’est à partir de ce premier je t’aime reçu comme une vérité révélée le cœur avachi sur une serviette de plage, oui c’est à partir de ce moment m là que j’ai sans doute voulu me mettre à raconter des histoires à mon tour, des romances, un certain lendemain de fête. Mais dans le fond ça n’a pas tellement bien marché. Je manquais encore d’expérience. Il faut croire que mon désir devait se durcir un peu, la peau. Oui. Il faut le croire. Et ma peau justement puisqu’on en parle, redoutait de s’assumer au grand jour
.
Nous vivons dans nos considérations parallèles, dans nos vis-à-vis indifférents, pudiques quelques fois, chacun sur son petit navire qui flotte sur l’eau, l’air de rien, sur le temps, parce qu’il ne sait pas faire autre chose, on regarde par-dessus bord parfois, le corps vissé vers l’horizon, le fantasme de tenir la barre, fantasme qui revient cogner à la porte quand il peut. On sait bien que tout ce que l’on tient ce sont les murs. Ce qui tangue c’est la vie. Ce qui tangue c’est l’esprit. La femme d’en face porte son armure en bandoulière. Elle te ressemble un peu. Vous portez le même petit pull olive, oui tu m’avais dit un jour que ce n’était pas vert mais olive, j’avais ricané, oui je ricanais, on a été léger des fois. J’ai soif. Je repense à ton petit pull tout doux et à tes seins au dessous. Un bastingage où j’aurais bien installé mon hamac pour la vie. Je vais me servir un verre, il est tôt mais j’ai le droit, c’est fête, j’ai vu des fleurs passer dans la rue, c’est dimanche et la femme d’en face porte ton pull. Boire et puis revenir
. »
La résidence du geste, Agathe Elieva & Benoit Jeantet
Isabel Bigelow
Et l’amour mort sera toujours vivant
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Walden – Diaries, Notes and Sketches, 1969. Mekas.