…jour, 164

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Robert Montgomery, poème de Hammersmith, toile de Malevich ©2017 

…And we shall steal away in the blue dawn

by the noon sun

we’ll be fucking gone…

Que ce 19 annoncé vous soit bienveillant, doux, amoureux,

dans l’audace du courage, le courage de l’audace

et les bonheurs des jours partagés

…à chaque jour suffit sa beauté…

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©Robert Montgomery

 

…jour, 159

Jerzy Lewczyński – Etude de Nu, 1975

« Je suis comme nimbée d’un fluide obscurci par tout un tas de ramassis de poussières, des bouts de feuilles, quelques cailloux, une plume – il chantonne son gazouillis et je me laisse emporter par son courant. C’est comme une berceuse d’eau pour ma roche calcaire. Les ondulations de son chant, la sinuosité de son parcours, se frayent un chemin tout au-dedans de moi, la pulsation fait craquer le vernis de ma mélancolie. Je lâche prise, ma proie, mon dos, ma ferveur pour une naïveté illusoire. La lumière se fait. Il n’y a plus que ta chaleur, tout autour, au-dedans de mon sourire, dans mes veines devenues légères.
De l’aube à midi sur la mer… Je marche, rythme régulier, sans aucune pensée. Ostinato de l’habitude.
Je ne sais si c’est pour attiser la faim ou éviter l’écœurement mais je marche. Chaque seconde est froissée sous mes pieds. Ils dansent mes impuissances et tous mes débordements. Ces derniers, comme des bijoux de peau, éclatent, lancés vers le ciel, ils atteindront ton cœur, un jour, amour. Quelques grains de chair affleurent sous la cuirasse d’apparat. Le temps est clair, amour, il est le tien. La lumière de midi ne me fait presque plus peur. Le feu couve sous l’ostinato clément.
On pensait pouvoir faire taire les hyènes par nos postures, actes, choix. Je continue comme si tu étais là, en sachant que tu fais pareil là où tu te trouves. L’obstiné de nos voix et de nos regards leur tient tête. Nous creusons, trifouillons leurs failles. Et même si, de leur voix aigrelette, elles me disent que tu as disparu, je clamerai quand même. Je ne veux pas rogner mon idéal, son instabilité. Dans cette instabilité et l’indélicatesse de ces heures qui se jouent de moi. Cet absolu est tout ce qui me reste. »

L’éclat, Agathe Elieva ©2013

…jour, 150

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Sasa Gyoker, 2016

« Ce n’est pas le matin, ce n’est pas le soir. C’est entre matin et soir. Un peu de matin, un peu de soir. De la corde, je ne vois que le balbutiement du linge. La main seule, et suspendue. Elle se balance avec les terrasses et leur chaux. Je vais sentir peut-être l’odeur de la main car elle est proche de celle de la chaux et sentir derrière elle, celle qui ne dort pas dans un lit. Rien qu’une main. Je verse du thé et la main tendue tend le verre pour que les doigts touchent les doigts. La bague se noue à mes lèvres. Et je manque de m’asseoir dans le silence. Pourquoi la main, la bague, le verre ? Un chemin de la main à la main. Incident entre main et main. La main a abandonné la lune hors de la chambre. Moi je sens l’odeur du henné. Une branche fond dans ma voix. Un peu de main dans ma bouche ou sa bouche. Je livre la main pour qu’elle soit plus haute que ma poitrine. Le thé brûle. Le henné, la chaux. Ma tête paisible sur terre. Je passe la main sur la main. La main sans livre parce qu’elle est main dans la main. Et la langue sur la peau. Elle tête pour ne pas dormir. Un peu de henné, un peu de gémissement. La main qui tendait le verre ne l’a pas encore rendu. Jeu passionnant. Le verre. Quand je me suis étendu par terre, j’ai saisi une main et le verre est parti en flammes. Ma main sur la peau. Silence, langue, relâchement des organes. La poitrine se penche sans avoir l’air de se pencher. Un arbre tourne autour de moi. Piliers de marbre et nous sur une natte. Peau brune qui se dénude. Demi-sommeil entre deux cités. Appel d’en bas. Intense soulèvement. De la terre jusqu’à la terre. Nul objet n’abandonne l’objet. Deux ravages. Ils s’ouvrent dans la tempête des choses. Se laissent, se rencontrent. Dans tous les sens. Rôle que j’avais oublié. Sur ma main ou sur la sienne. Violences vos déchirures. Perte des organes. Entre un peu de matin, un peu de soir. Le verre vole en éclats. Hurlement. Maître du silence et maître du vide. »

Pour toi, Mohammed Bennis

© Dâr Toubkal lil-nashr trad. Bernard Noël, © éditions Al-Manar

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dazed, Thobias Malmberg

…le geste nu, 19

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© Jean-François Bory, Piano solo, 1972

« …toute clarté projette une ombre…

Snorri joue presque quotidiennement à l’harmonium du Bach, du Mozart, du Chopin, mais aussi parfois des mélodies dissonantes, nées de la douleur et de la culpabilité. La musique n’a pas son pareil. Elle est la pluie qui arrose le désert, le soleil radieux qui illumine les coeurs, elle est la nuit qui console. »

Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson

 

…le geste nu, 15

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Ferdinando Scianna

« 

Elle s’allongea en posant sa tête près de mon genou. Je pouvais la voir par en haut, une de ses mèches dépassait du bateau et flottait dans le tangage de la proue. La mer scintillait tant derrière elle qu’il fallait fermer les yeux. « Parfois, dans certains de tes gestes, tu ressembles à une personne qui m’aimait bien ». Elle le dit doucement, en dessous du niveau sonore du diesel qui tournait. Je rougis comme si elle l’avait crié au monde entier dans un haut-parleur. Elle le dit sans devoir ouvrir les yeux. « Toi, tu l’aimais ? » Caia fit un léger oui de la tête.

Nous nous rendions à la sèche de Capri. Le voyage continuait. J’avais aiguisé mon oreille pour percevoir la fréquence de sa voix, je l’aurais entendue même en pleine tempête. De l’arrière, on ne pouvait voir que nous étions en train de parler. Je répondais sans la regarder, fixant la proue, disant des mots au vent. Il y eut une vague plus haute, je la vis arriver et je compris qu’elle allait faire rebondir légèrement sa tête contre le bois, aussi, au moment où l’avant se cabra, je glissai ma main entre sa nuque et la barque, pour amortir le coup. Je la retirai aussitôt. Caia me regarda par en dessous, avec le sérieux d’une enfant à la fenêtre qui attend un retour. Elle voyait quelque chose au loin, bien derrière moi, une main qui tenait sa nuque qui sait combien d’années plus tôt. Je la regardai dans les yeux, je pensai qu’elle me voyait à contre-ciel sans personne autour, sans terre

. »

Tu, mio Erri de Luca