Miquel Barcelò
» J’entends le fourmillement, le bruissement de ce qui se dit, ou murmure. Les pierres fendillées craquellent le lichen. La nuit se fait, là, quelque part sur la terre, l’ombre portée absout le présent. Le nuage de la désolation recouvre mon ciel étoilé, le bleu par endroit devient noir, ma parole lacérée doute. Je deviens cette gazelle qui offre son cou au lion et je danse avec la mort. Danse funèbre, où les griffes plantées dans le cœur, sont autant d’orgasmes non accomplis. Il ne faut pas vouloir se laisser prendre par la main. Il ne faut pas croire aux lendemains qui chantent. Je danse avec la vie que tu cherches à me prendre, que je t’offre. Entière et indomptée, prête à la danse absolue. Tu boiras à ma source, je te laisserai faire. Dans ce balancier infernal qui oscille entre confiance et survie, profondeur des doutes et lumineuse certitude. Et puis je deviendrai cette carcasse livrée aux charognes, la grâce des putréfactions.
Arno, tu as disparu, aigle survolant ma plaine dans les montagnes d’un combat qui n’était pas le nôtre, dans lequel tu as choisi de te laisser avaler
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*
N’est-ce pas que tu reviendras ?
N’est-ce pas que le réel n’est rien d’autre qu’un leurre ?
*
Ma main tremble, la vague me creuse toujours aux mêmes endroits, lancinante mélancolie, l’odeur de ta nuque parcourt l’air. Je sens dans mes pieds les vibrations du métro, des bus, cette circulation qui se fait sans moi. Mon cœur tremble et ce n’est pas à cause des machines. C’est le sang, le ciel et tout ce qui les entoure, ce qui est bancal en moi. C’est un petit ru qui parcourt le champ laissé à l’abandon, sa chansonnette est devenue inaudible. La marche des passants est un brouhaha et je me confonds avec cette mélodie-là, ce murmure submersible, il faudrait s’approcher trop près de moi pour l’entendre. Zone à risque. Inondable. Tout me submerge : ton désir, l’absence, ta main. Et ce silence, ruban de sagesse, noué sur l’éclat de ton sourire, le plissement de tes yeux, la chemise retroussée jusqu’au coude. Ta main qui caresse et le souffle qui pénètre. L’intensité des sons dans le bousculement de nos étreintes, l’inutilité des paroles dans le mi-clos de ton regard. C’est un beau temps pour le désir, et son cri. Dans ce présent qui n’est rien et qui change déjà tout. Le vent dispense à tout hasard, une lumière se fait déjà. Je ne suis plus ni lasse ni froide, toute à toi. Je ne suis plus rien. Qu’un passage entre tes mains
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*
Ce n’est pas parce que je comprends, que je pardonne. Ce n’est pas parce que je pardonne, que j’absous. Je te voudrais là, vivant, en moi, tu ne fais qu’échapper à ma mémoire. Ta voix a perdu de sa chair, sa figure. La langue ne s’infiltre plus au-dedans de moi, le flux des mots s’est tari. Le silence de ma langue viendra enflammer la rupture de tes vies et blottis dans nos armures recouvertes d’écume, de rouille, d’algues molles, nous brillerons dans le soleil couchant, ce sera la fin des premiers jours.
Et puis tous les autres petits jours commenceront. Anodins. Un rien de petit jour, cousu aux autres par un fil brut fait d’aveux de bois, de mensonges d’airain, de plats industriels trop salés, de chaussons au pied du lit. Je voulais ce nous, c’est ta fuite qui m’a toujours répondu
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C’est le lien et la racine, de ton poignet à mes chevilles
. »
L’éclat, Agathe Elieva