…jour, 168

 

Bagnolet 21.12.19

©A.Elieva, Bagnolet

OKLM l’oracle ou l’avènement de la Secte Up Nation :

Il y a un nouveau graf sur le chemin le long de la voie, il est apparu la nuit dernière en lettres d’argent “oklm l’oracle”, voilà oklm ta prophétie archem oklm.

oracle (n.m.)
1.personne qui parle avec autorité ou compétence.
2.personne qui annonce l’avenir. Augure, devin.
3.(figuré)décision autoritaire ou opinion exprimée avec autorité.
4.(antiquité)réponse, prophétie qu’une divinité était supposée donner à ceux qui la consultaient sur le sujet de leur choix.

calme (n.m.)
1.état de ce qui ne connaît pas d’agitation.
2.absence de vent
3.période courte de temps calme (ex. le calme avant la tempête.)
4.état sans trouble.
5.silence tranquille « le calme de la nuit  »

Le grand principe de la manipulation mentale est que l’on cherche à nous déposséder de notre histoire. On nous martèle que l’on se trompe sur ce que nous vivons – et pourtant malgré tout, nous vivons et respirons. Jugement, humiliation, mépris, double langage, la supériorité de quelques-uns s’expriment avec ces procédés. Ce qu’il nous reste ? Vivre, créer, recréer, agir, résister pour respirer – alors même que certain.e.s d’entre nous meurent étouffé.es sous les coups, genoux, portières, guet-apens, courses poursuites, amusements d’un soir, contrôle de tous les jours.

Qu’est-ce qu’une dérive sectaire ?
Sur la base de l’expérience de la Miviludes, qui reçoit quelques 2 000 signalements par an, la dérive sectaire peut être définie comme suit :
Il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.

Je ne suis pas experte en politique ou en débat mais en secte oui. En manipulation mentale, oui. J’ai été une enfant cible comme le ministère public le nomme . Je le suis toujours d’ailleurs. De cette manipulation mentale, de cette aliénation, on ne se remet pas tout à fait lorsqu’on s’en extrait. Elle nous a construit. Et dans mon cas, elle a fait de moi cet être allergique à toute forme de dogme. J’ai développé le radar à dérive sectaire, à comportement à risque, à danger.

Le principe d’une secte est la confiance aveugle en un maître suprême, celui qui par essence sait tout mieux que les autres.
Il a, en règle générale, été choisi par une force supérieure. Souvent d’ordre divin, de force supérieure, d’invisibles entités, parfois l’argent et lo’rdre financier mondial réuni les trois.
Le maître suprême, le gourou, le chef, il faut bien s’en rappeler, porte la lourde charge divine, de devoir pédagogiquement et avec abnégation apprendre à la communauté ce qu’elle ne peut apprendre par elle-même. Il doit patiemment rappeler les ordres, les règles, les vérités consignées et transmises par voie supérieure. Le chef est seul. La solitude est une abnégation, un poids, une contrainte. C’est ce qu’on appelle la solitude du pouvoir. Mon ascendant à moi appelait cette solitude : sa générosité aux autres.

Le maître a besoin d’une cour, de gens, de disciples, de faire valoir, de petites mains, de porte flingue.
Il leur adresse la parole, confie des secrets, leur fait sentir combien ils sont privilégiés, extraordinaires, spéciaux, uniques. Le suiveur est omblé, son orgueil nourri, son appétit rassasié pour un temps. Le chef ne les regarde plus, les ignore, parfois même les expulse de sa sphère. Il leur fait comprendre que rien n’est jamais acquis, que c’est selon leurs actes d’allégeance au système, à la doctrine, les suiveurs apprennent donc que leur place auprès de lui, si ils veulent la maintenir, il va falloir se battre pour la garder, être très sage, rendre des services, se vendre, baisser son froc et plusieurs fois, compromission et soumission. Tu signes en bas de page sans lire tous les petits asterisques. Pas besoin. En contrepartie tu es protégé. Etre suiveur c’est être protégé tant que tu es utile et que tu donnes ton sang.

Le chef te caresse et te fouette. Il t’humilie et te flatte. Petit à petit, tu es infantilisé, perdant tout libre-arbitre dans un sentiment de toute puissance car tu es convaincu d’être initié à la Vérité. Avec une majuscule. La secte aime apposer des majuscules aux mots forts, aux mots clés, ceux qui rentreront dans ta matrice intellectuelle et pour lesquels tu seras amener à te battre. Contre tout bon sens terrien comme on dit. Le bon sens de la terre. Avec noblement une minuscule. Bientôt, tu n’es plus apte à comprendre et à distinguer l’objectivité d’une réalité. Mais tu es tout puissant. Du bon côté des choses, de celui qui détient la connaissance. L’égo encore lui. Le syndrome du petit préféré aussi. De l’enfant rejeté parfois. Des faibles toujours.

Les disciples de l’Elu nourrissent l’espoir de prendre un jour sa succession. Si ils sont bien sages et obéissants. S’ils marchent au pas. Le doigt sur la couture.Qu’ils se trompent ! Pour les adeptes de mon ascendant, j’étais la fille de l’élue. Et puis un jour j’ai enfin réussi à partir. Ils m’ont harcelé chacun leur tour, plus ou moins gentiment, pensant gagner des points. Je ne sais pas pour eux, mais mon ascendant à moi a perdu ma trace.
Dans une secte, il faut des adhérents, des disciples, des divulgueurs de bonne parole, des qui marchent aussi. En trottinant cahin-caha derrière, et surtout sans dépasser.

Un jour, le chef du pays est arrivé marchant, jeune pas beau manches relevées et promettant un monde nouveau, celui de la société civile, celui de potiliques à côté de la Politique, du côté de la société citoyenne. Au centre. Ne prenant pas position, ou plutôt au-delà de tout clivage. C’est l’arrière garde ça le clivage. Restons neutre en apparence. Et massacrons. Annonce d’un monde aux alouettes nouveau, jeune et amateur, loin de la cuisine des anciens, un monde neuf qui apporte son lot de rêves à l’écoute de chacun, dans un grand débat que le chef mène comme bon lui semble, arranguant la foule en l’épuisant dans une diatribe interminable, une dialectique d’érudit à grand renfort de citations et d’expressions désuètes. Ce serait à en rire, comme on pourrait rire du grand-oncle pendant les réunions de famille, famille française traditionnelle dans la maison de campagne héritée depuis 3 générations. Le terroir l’air de rien. L’air de rien de ceux qui ont beaucoup travaillé, sous-entendu, ceux qui ont fait beaucoup travailler d’autres qu’eux, ceux-là qui doivent les en remercier du haut de leurs congés payés.
Ce serait à en rire. Mais on n’a pas le coeur à ça.

Marchant il est élu, par le dieu du capital, le dieu soleil aux pyramides, le dieu Râ d’Egoût.

Il marche, cependant assis sur son trône dans le grand jardin à bronzer et devenir orange puis vert. Il nous infantilise à grand renfort de pensées complexes. Il ment superbement, rassasié de toutes ses illusions. Oh et puis il n’y a pas que lui qui le dit, ses disciples aussi bien entendu. Il n’est pas seul. Il n’est pas forcément en première ligne. D’ailleurs souvent il se désolidarise comme un bon gourou qui sait bien jouer avec le chaud et le froid. Il ne sera pas solidaire avec sa troupe.

Le chef a l’impunité psychologique, la toute puissance. Il s’entoure d’une cour de laquais. Il écarte ceux qui déçoivent, il prononce des jugements, confortés par la présence de ses sujets, écartant les autres, tous les autres qui ne sont pas dignes de recevoir sa parole, du moins directement. On ne convoque plus les journalistes, on met une distance avec son peuple, on ne l’écoute pas, on le nie, on le maintient dans un double langage, on le tue à coups de dénigrement et de négation. Ils se rabaissent à notre niveau de pauvres gueux non initiés, non élus. Nous ne pouvons pas les comprendre ces pensées trop complexes car nous ne sommes pas des initiés. Eux savent mieux que nous ce qui est bon pour la société. Nous n’avons plus qu’à les suivre et surtout à la fermer, sinon repressions violentes cela donnera une leçon aux suivants.

 

Garges 4.03.19

©A.Elieva, Garges-lès-Gonesse

 

Le gueux est celui qui doute, le pauvre, il n’a pas accès à la connaissance. Il n’est pas digne d’être sur la ligne (sectaire). Il n’est même plus à convaincre le gueux car jamais il ne sera disciple et le chef n’a pas besoin de compter dessus. Non, il est à écraser tout simplement puisqu’il n’est pas utile. Alors le chef ordonne à ses pions télécommandés – vidés de leur substance d’humanité – de se placer pour en première ligne pour défendre le mouvement. La manipulation mentale a oeuvré tellement facilement qu’ils le font sans broncher, avec fierté même, et cette assurance de régner pour les siècles des siècles. Et ils écrasent sans émotion aucune. Ils ne peuvent plus remettre en question les ordonnances, ils obéissent, bienheureux d’être investi par leur chef, missionnés par lui, digne de sa confiance. Seule la mission est compréhensible par l’élu car c’est lui qui en dicte la totalité. Le pouvoir. Les disciples suivent. Ils trottinent. Ils marchottent. Mon ascendant à moi a missionné trois personnes pour interdire une lecture théâtrale et musicale, les a fait crier au scandale, les a fait menacer de procès en diffamation. Il est restée dans l’ombre à l’abri, loin des tribunaux et du jugement des hommes. J’ai rêvé de l’entendre couiner lorsqu’il tomberait pour ses abandons. Et puis j’ai passé mon chemin.

La manipulation mentale réduit à néant tes facultés intellectuelles. Le libre-arbitre devient caduque. L’opposition ne peut exister puisqu’aucun crédit ne va être apporté à tes dires. Le désir d’ordre et de repression est entier : tout pour contraindre et ne pas négocier. On ne négocie pas avec Dieu.
On jouera de fausse empathie et de compassion, comme tout ceux qui après la messe dominicale change de trottoir car tu redeviens soeur d’handicapée et infréquentable.

Gilles Deleuze parlait de « peuple du milieu » pour qualifier ces femmes et ces hommes qui traversent nos sociétés, ces nomades de nos modernités qui dérangent l’ordre par ce mouvement infini, cette réticence absolue à se fixer, à s’arrêter . Les gens du voyage. 
Pourrions-nous parler de « peuple d’en-dessous » imaginant par là même la réalité d’un peuple au-dessus : des lois, des formations, des justices, des autres ?
Coulée d’acide, gaz lacrymo dans la gueule, flashball pour tous, justice pour eux, prison pour nous. Ou décompte de nos mortes sous les coups. De nos enfants et de nos jeunes. De nous tous éborgnés et niés.

Trois années, de saisons de révoltes en longs mois de manifestations, de violences policières en jeunesses humiliées, noyées, abattues. Plusieurs saisons ont passé dans nos rues – et puis tous ces silences condescendants, ces phrases toutes faites du bienpensant, du mal documenté, du canapé en cuir dans l’appartement des beaux quartiers, de la peur des périphéries plus ou moins lointaines.

Et puis cette colère qu’une certaine classe dirigeante refuse de comprendre, de reconnaître. Au mieux elle la trouvent exotique. Piquante. Certains pourraient la punaiser sur leur mur d’influences, mur d’inspirations, murs de trophées. Cela fait parler dans les dîners. Qu’il est toujours délicieux ce bouc-émissaire que l’on dénigre, mets délicats de racisme pour fin gourmets de chasseur de gibiers.

On puise notre énergie, patiemment, ils ont le temps tellement persuadés de régner longtemps sur nous. Bientôt ils comptent sur notre faiblesse, notre épuisement, nos cicatrices d’humiliation qui nous maintiendraient à genoux, mains dans le dos, un peuple qui se tient bien sage. Et puis ils misent sur notre ignorance et notre bêtise. Du pain et des jeux, disaient-ils.

Pour le marcheur, nous ne sommes que de pauvres herres à trancher de notre histoire. La rupture avec le passé. La fameuse rupture, fracture. Avec « avant ». Rompons donc avec l’héritage de 1946, détruisons ce qui a pu nous rendre fiers et exemplaires. Mettons à bas, propageons des mensonges sur lesquels jamais nous ne reviendrons. Ce ne sera pas utile. Au contraire je dirais même : ils s’amusent avec nous. Benalla n’est qu’une marionnette sanguinaire au-dessus des lois, le favori du Roi intouchable. La caste du géant. Le filleul de l’Elu au vu de tous. C’est quand même ça qui est incroyable, l’impunité du chef de bande qui n’envisage jamais de payer un jour pour les injustices commises.

Depuis trente ans, une politique de la petite enfance tente de se mettre en place : missions, rapports, projets de loi, mouvements professionnels. Tout est connu par les ors de la République, jamais débattu. Depuis trente ans, et toutes les conclusions des expertises professionnelles concernant l’importance de l’accueil du jeune enfant pour qu’il puisse se déployer dans toute sa richesse, pour enfin rompre les inégalités sociales et culturelles etc. depuis trente ans donc, j’aime le répéter parce que c’est long, et que cela marche ainsi, depuis trente ans aucune mesures politiques n’a été prises. Absolument aucune.

Depuis 2019, est apparu une nouvelle notion concernant l’enfance : celle de santé culturelle. C’est-à-dire la santé de nos relations et de nos liens . La « malnutrition culturelle » c’est un ensemble de comportements qui entravent la qualité du lien parent-enfant et in fine du lien social. On nous pèse, on nous mesure, on soigne notre corps. Serait-il pour qu’il soit opérant et propre au travail ? Je ne suis pas qualifiée pour apporter une réponse mais je pose la question.

Et puis finalement, le vent finit par tourner. Depuis 2007 il en aura fallu du temps. Depuis juillet 2016 il en aura fallu du temps, de l’obstination. C’est alors que le jaune, le noir, le poing levé, la noyade, le meurtre, le mensonge crasse, se sont incrustés dans la société.

Arracher sa liberté. Y revenir sans cesse. Résister pour ne pas se laisser vider de sa substance. Rectifier les discours. Rester clairvoyant. Sain d’esprit. Libre, autonome, vivant. Notre coeur respire, chérissons notre chance. Agissons. Sans justice pas de paix.

Barbès 20.01.18

©A.Elieva, Porte de Clignancourt

…jour, 154

Cité des Bosquets

© Agathe Elieva, cité des Bosquets mars 17

…/… » Éboulis lorsque l’architecture se détruit. Éboulis. Gros tas de caillasses qui nous servirait à reprendre le pouvoir.  Éboulis lorsque le cœur tombe fracassé parce que la main que je t’ai tendue, tu ne l’as jamais prise » …/…

 

La nouvelle Éboulis de Agathe Elieva est parue dans la revue #18 Le Zaporogue de Seb Doubinsky

(Téléchargeable gratuitement ou bien en version papier)

Joie.

img_1995

Agathe Elieva, la passerelle 01.18

…la lettre nue, 37

Sergio Larraín por Jean Mouniq. Londres 1959

Sergio Larraín por Jean Mouniq. Londres 1959

« …Mon cher Henri,

J’ai été très heureux de recevoir ta lettre. (…)

J’ai entrepris l’immense projet de faire une histoire sur un sujet qui me tient à coeur, en lui consacrant toute mon énergie, sans compter le temps passé (ni l’argent). J’ai travaillé deux ans à Valparaiso – un grand port misérable et magnifique. Le résultat est une collection de photographies très fortes. Une ville un peu sordide et romantique. (…) Les gens ont été impressionnés mais personne n’a souhaité le publier.

(…) J’essaie de ne travailler que sur ce qui importe pour moi. C’est pour moi la seule solution pour rester en vie photographiquement, et je prends le temps qu’il faudra pour le faire, le temps que je veux y consacrer et avec le rythme lent qui me convient. (…)

Je crois que la pression du monde journalistique – être prêt à sauter sur n’importe quelle histoire, tout le temps – détruit mon amour et ma concentration pour le travail.(…)

Sergio »

lettre de Sergio Larrain adressée à Henri Cartier-Bresson, 28 avril 1965Valparaiso, (éditions Xavier Barral)

index

Sergio Larrain, Valparaiso

lettre nue, 36

© A.Elieva

J’ai cherché encore pour un peu de temps la phrase d’accroche, le nouveau leit-motiv, thème de quelques mots qui ouvrirait la porte lourde. Rien. Simplement l’odeur de buffet chaud sous lampe rouge de cafeteria, fond de sauce ratatinée au fond de la casserole que l’on ferait semblant de croire haut de gamme, cuivre brillant frotté huile de coude bon marché. Rien que ces petits détails là, et le courant d’air froid du quai à hauteur du panneau « avant des trains courts », grattement de gorge, lorsque tu ne sais plus trop si tu vas tomber malade ou si, là encore simplement, c’est la maladie de la fin de journée, ce mélange de fatigue de harassement et de à quoi bon – cela passera avec la nuit, la résignation, la curiosité du lendemain. On écrira comme la gorge nous gratte, à petites brûlures et voix discrète.

 

…la lettre nue, 32

albert-camus-4

Paris 26 octobre 1951

Mon cher René,

J’ai beaucoup pensé à notre dernière conversation, à vous, à mon désir de vous aider. Mais il y a en vous de quoi soulever le monde. Simplement vous recherchez, nous recherchons le point d’appui. Vous savez du moins que vous n’êtes pas seul dans cette recherche. Ce que vous savez peut-être mal c’est à quel point vous êtes un besoin pour ceux qui vous aiment et, qui sans vous, ne vaudraient plus grand-chose. Je parle d’abord pour moi qui ne me suis jamais résigné à voir la vie perdre de son sens, et de on sang. A vrai dire, c’est le seul visage que j’aie jamais connu à la souffrance. On parle de la douleur de vivre. Mais ce n’est pas vrai, c’est la douleur de ne pas vivre qu’il faut dire. Et comment vivre dans ce monde d’ombres ? Sans vous, sans deux ou trois êtres que je respecte et chéris, une épaisseur manquerait définitivement aux choses. Peut-être ne vous ai-je pas assez dit cela, mais ce n’est pas au moment où je vous sens un peu désemparé que je veux manquer à vous le dire. Il y a si peu d’occasions d’amitié vraie aujourd’hui que les hommes en sont devenus trop pudiques, parfois. Et puis chacun estime l’autre plus fort qu’il n’est, notre force est ailleurs, dans la fidélité. C’est dire qu’elle est aussi dans nos amis qu’elle nous manque en partie s’ils viennent à nous manquer. (…)

Revenez bien vite, en tout cas. Je vous envie l’automne de Lagnes, et la Sorgue, et la terre des Atrides. L’hiver est déjà là et le ciel de Paris a déjà sa gueule de cancer. Faites provision de soleil et partagez avec nous.

Très affectueusement à vous

A.C.

 

 

…la lettre nue, 31

henriette_grindat

Lundi 16 juillet 51

Mon cher Albert,

Après avoir lu et relu votre Homme révolté j’ai cherché qui et quelle œuvre de cet ordre – le plus essentiel – avait pouvoir d’approcher de vous et d’elle en ce temps ? Personne et aucune œuvre. C’est avec un enthousiasme réfléchi que je vous dis cela. Ce n’est certes pas dans le carré blanc d’une lettre que le volume, les lignes et l’extraordinaire profonde surface de votre livre peuvent être résumés et proposés à autrui. (…) Votre livre marque l’entrée dans le combat, dans le grand combat intérieur et externe aussi des vrais, des seuls arguments – actions valables pour le bienfait de l’homme, de sa conservation en risque et en mouvement.(…) Vous avez gagné la bataille principale, celle que les guerriers ne gagnent jamais. Comme c’est magnifique de s’enfoncer dans la vérité. Je vous embrasse.

René Char

P.S. Dans la citation que vous faites de moi page 427, une erreur de frappe a fait écrire « …les deux cordes de mn arc ». Il faut lire « …les deux extrémités de mon arc ».

P.S nigaud -Je préfère être Marc Aurèle que Sylla. Oh combien !