…la ligne nue, 21

@A.Elieva. Bondy 9.3

Un peu plus en-dessous nous attendons notre rendez-vous médical, sur des chaises en plastiques ou sur la rue, en face c’est le centre Nelson Mandela – les fleurs pour Aymane ont disparu – il se met à pleuvoir, on attend. J’entends parler turc, romani, arabe, un peu au-dessus il y a leurs lois qu’ils font passer ou fantasment de le faire, nos sentiments, la réalité de nos humanités rassemblées.
Un peu au-dessus, il y a comme nous, les oiseaux de passage que je ne peux nommer. Nous ne faisons que passer.

…la ligne nue, 20

Unknow

© Irving Penn

Et puis, j’ai cueilli les premières roses du Ronsard, le premier brin de lavande, les fleurs de l’oranger du Mexique du ceanothe généreux mais dont les fleurettes laissent des confettis impossible à retirer sur le pull, j’ai taillé l’herbe deux fois avec les cisailles avec les mains qui tremblent ensuite, mais le plaisir du clic clic est inimitable, j’ai nettoyé la porte d’entrée pour que la bienvenue soit celle d’un monde nouveau, des retrouvailles, de l’amour, j’ai pressé des oranges et préparé des cocktails d’agrume et de menthe, j’ai refait le canapé quatre fois, lavé les housses, je crois que je veux un nouveau canapé aussi, mais lequel, j’ai rêvé de tissus indiens, fleuris, cotonnade légère, du léger et du gracile, j’ai inventé des gâteaux à la praline, bu du thé mais pas tant que ça finalement, acheté une cafetière italienne et une petite tasse à espresso napolitaine, le rêve, j’ai voyagé dans l’odeur du mélange blend italia, un délice, j’ai repeint de vieux cadres et les ai utilisés pour la cuisine c’est beau j’aime ma maison, j’ai savouré chaque heure avec elle, j’ai profité profité j’ai essayé de ne pas en être déjà nostalgique, j’essaye encore, je me dis je choisis d’être aimée je choisis d’aimer comme un mantra mais la plupart du temps celui-là je l’oublie

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Unnown

© Sarah Moon

la ligne nue, 19

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©A.Elieva 03.20

 

Et puis j’ai culpabilisé parce que je n’en ai rien fait.

J’ai passé des heures à naviguer sur des sites d’épicerie du monde, de papier népalais ou coréen ou japonais, à imaginer les nouveaux meubles pour un nouveau salon, bois brut ou laqué, de Chine ou de Scandinavie, j’ai pris le soleil, le suivant comme j’ai pu comme un lézard à m’installer à 8 heures pour travailler ou lire pour le travail ou pour le simple plaisir de passer des heures à observer les jeux de lumière et la fumée des tasses de thé entre la feuille de jasmin et le mur nouvellement repeint de bleu. J’ai cuisiné, géré les stocks de produits frais, garde-manger dans un sac de tissu installé dehors les jours et les nuits surtout fraîches de mars, découvert des petits producteurs, attendu les livraisons en culpabilisant des livraisons, ingérer les bourts de beau et de bon les heures douces et sereines, les angoisses de la nuit et pas seulement, la fièvre les coups de chaud qui te réveillent 4 ou 5 fois, les symptômes de la maladie que tu crois reconnaître, les cauchemars les mauvais rêves peuplés des hyènes et des abrutis, d’un bébé à la tête de vieillard que tu as lutté pour maintenir en vie il voulait toujours tombé du lit ce con, le lit était suspendu, alors c’était le risque de la chute éternelle, mais nous ne sommes pas tombés.

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…la ligne nue, 18

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©Davide Cerullo, les justes de Gomorra

Napoli, de la Scampia à la poésie

des voiles aux bosquets, les justes d’ici et de là : fractale 93

vidéo de 5’48 :

https://www.arte.tv/fr/videos/086962-011-A/le-juste-de-gomorra/

… »l’objectif et le stylo de Davide Cerullo mettent en lumière ceux qui demeurent dans l’ombre, en nous rappelant ce qu’est un visage : « une identité humaine qui questionne notre part de responsabilités vis-à-vis d’une revendication de justice sociale »

 

…la ligne nue, 17

Une maison jaune Montreuil

© A. Elieva, Montreuil 93

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Lorsque je rencontre des algériens des marocains des afghans, des libanais, des tziganes, des ashkénazes, des séfarades, des arabo-andalous, des siciliens, des florentins, ils me demandent : et toi ? Tu viens d’où ? C’est toujours la deuxième question qui vient de génération en génération, de sexe à sexe, un genre à elle toute seule cette question : et toi d’où tu viens ? La première c’est : quel est ton nom ?

Si je pouvais leur répondre comme je me sentirais libre. Je ne bafouillerais pas, je serais claire, ce serait clair, je ne chercherais pas la piste, j’affirmerais sans culpabilité, sans sentiment d’imposture, oui tu vois je suis honteuse de mon exil. Je ne sais pas d’où je viens, de quelle histoire, de quelle trame. Je sens tous ces sangs dans mon organisme, ils me constituent – comment te le dire sans que tu me prennes pour une folle ? Comment te dire ces morts et ces anciens que je porte ? Comment te dire que je suis comme eux mon frère, perdue dans un monde étranger, traumatisée par les pertes et la dépossession de mon village, de mon histoire, de ma terre. Éboulis de souvenirs, flashs, voix, secrets, mensonges, ils se sont tous abattus sur mon berceau. Je leur ai laissé la place, tu n’étais pas là pour m’aider.

Oui, il faut que je prévois ma réponse comme j’ai dû retrouver mon nom. Cesser de me sentir usurpatrice. Abandonnée de parents orphelin ou menteur ou les deux, comment retrouver mes racines si ce n’est en continuant de me rapprocher de moi, au plus près : macro génétique, macro photo de cellule souche. La souche, éboulis de cellules, de fibres généalogiques, filament végétal inconnu

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 »

Fractale 93

 

…la ligne nue, 16

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© Robert Doisneau, cité Le Potager Bondy (93)

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Tu vois. Je continue de tirer le fil d’un texte à l’autre. Ni ma voix, ni la tienne, ni la leur. La légitimité des invisibles. Ne pas savoir où se trouverait ta place reconnue. Ni d’ici ni d’ailleurs, loi de l’exil. Abandonné là, illégitime et survivant. Toutes ces empathies qui cohabitent dans mon corps sans trouver le calme ni la sortie. L’expiation. Porter la charge. Je vois les mots se former, apparaître, disparaître, il y a des pensées qui se construisent d’autres naissent du trop plein. Il faudrait de la technique sûrement. Du contrôle. Comme il faudrait du contrôle dans la vie, du réseau, voilà réseauter en costume rayé ou talons de 12 et vernis rouge.

Éboulis, ce que tu parviens à faire émerger des décombres, malgré tout, malgré les hyènes, malgré ce qui aurait dû ne jamais être. Malgré notre obsolescence programmée. Celle que les politiques et les bourgeois appellent de leurs vœux. Bons pour la casse, la main d’œuvre, la chair des enchères. Que l’on disparaisse une bonne fois pour toute maintenant qu’ils se sont bien servis de nous

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Éboulis, Agathe Elieva (edition Le Zaporogue)

…la ligne nue, 15

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© Agathe Elieva Paris 9e

Il va bien falloir apprendre. Rentrer seul. Maison silencieuse, la contrainte horaire a disparu, l’horaire de son retour avec, le réfrigérateur trop plein. Comment fait-on lorsque l’on rentre seul, ouvrir la porte et puis,  rien. Quels sont les gestes. Le temps se suspend-il, le sens du temps est-il abrogé, comble-t-on le silence, nous remplit-il, est-ce la fin du monde, s’engouffre-t-on dedans, la mort, qu’est-ce que c’est que cette chose, rentrer seul lorsqu’on ne l’a jamais fait de sa vie entière. Mon silence est son silence. Et je ne sais pas quoi en faire. La ville est loin.

 

…la ligne nue, 14

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ils m’ont appelé l’Obscur, et j’habitais l’éclat

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et l’éclat dans l’obscur de l’éclat qui était ta joie, amour.

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© Move For Aids Project 2003

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et ce dialogue encore dans les chambres

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et l’amour dans ce silence de tes bras, amour

 

Amers, Saint John Perse

 

…la ligne nue, 13

Camion soleil 95

©Agathe Elieva, D170

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Tirer le fil de cette ligne nue, fractale 93…

cela a l’air simple hop je tire et deux extrémités de fil se font face, se regardent – impassibles puisque c’est dénué de tout sentiment, un fil – l’Ouest et l’Est avalés en un point unique qui serait situé entre mon pouce et mon index parfois même le majeur – ces doigts qui tiennent le fil, frappent les touches pour tenter de former les mots du fil – ce fil tiré comme une épingle du jeu, un jeu de tarot ce serait le destin entre les mains de la diseuse, ma vie devient la vie que tu vois que tu inscris la vie de ma vie que tu ne vivras pas

non

mon fil tournoie, fait des nœuds, créé d’autres bouts de fil, s’emmêle aux chaînettes, aux cheveux, aux bouts de laine, mes doigts s’embourbent et l’Est défie l’Ouest – je ne suis pas comme toi cousin, nous ne ferons pas partie de la même histoire narvalo

«