
Patti Smith, une lettre nue Robert Mapplethorpe 1969
Patti Smith, une lettre nue Robert Mapplethorpe 1969
« …and you pierced the hearts
of everyone in the place,
singing from the crippled shore
of your short-decked youth. (…)
… et transpercez le coeur
de tous ceux qui vous écoutent,
en chantant depuis le rivage meurtri
de la maldonne de votre jeunesse. (…) »
Billie and the awkward angel, poème de Peter Bakowski, Le coeur à trois heures du matin
» Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as des yeux d’aventure et d’années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
dans les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
la blancheur des nénuphars s’élève jusqu’à ton cou
pour la conjuration de mes manitous maléfiques
moi qui ai des yeux où ciel et mer s’influencent
pour la réverbération de ta mort lointaine
avec cette tache errante de chevreuil que tu as
tu viendras tout ensoleillée d’existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l’aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
je te prendrai marcheur d’un pays d’haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie notre vie
t’aimer fou de racines à feuilles et grave
de jour en jour à travers nuits et gués
de moellons nos vertus silencieuses
je finirai bien par te rencontrer quelque part
bon dieu!
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j’affirme ô mon amour que tu existes
je corrige notre vie
nous n’irons plus mourir de langueur
à des milles de distance dans nos rêves bourrasques
des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres
les épaules baignées de vols de mouettes
non
j’irai te chercher nous vivrons sur la terre
la détresse n’est pas incurable qui fait de moi
une épave de dérision, un ballon d’indécence
un pitre aux larmes d’étincelles et de lésions profondes
frappe l’air et le feu de mes soifs
coule-moi dans tes mains de ciel de soie
la tête la première pour ne plus revenir
si ce n’est pour remonter debout à ton flanc
nouveau venu de l’amour du monde
constelle-moi de ton corps de voie lactée
même si j’ai fait de ma vie dans un plongeon
une sorte de marais, une espèce de rage noire
si je fus cabotin, concasseur de désespoir
j’ai quand même idée farouche
de t’aimer pour ta pureté
de t’aimer pour une tendresse que je n’ai pas connue
dans les giboulées d’étoiles de mon ciel
l’éclair s’épanouit dans ma chair
je passe les poings durs au vent
j’ai un cœur de mille chevaux-vapeur
j’ai un cœur comme la flamme d’une chandelle
toi tu as la tête d’abîme douce n’est-ce pas
la nuit de saule dans tes cheveux
un visage enneigé de hasards et de fruits
un regard entretenu de sources cachées
et mille chants d’insectes dans tes veines
et mille pluies de pétales dans tes caresses
tu es mon amour
ma clameur mon bramement
tu es mon amour ma ceinture fléchée d’univers
ma danse carrée des quatre coins d’horizon
le rouet des écheveaux de mon espoir
tu es ma réconciliation batailleuse
mon murmure de jours à mes cils d’abeille
mon eau bleue de fenêtre
dans les hauts vols de buildings
mon amour
de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
tu es ma chance ouverte et mon encerclement
à cause de toi
mon courage est un sapin toujours vert
et j’ai du chiendent d’achigan plein l’âme
tu es belle de tout l’avenir épargné
d’une frêle beauté soleilleuse contre l’ombre
ouvre-moi tes bras que j’entre au port
et mon corps d’amoureux viendra rouler
sur les talus du mont Royal
orignal, quand tu brames orignal
coule-moi dans ta plainte osseuse
fais-moi passer tout cabré tout empanaché
dans ton appel et ta détermination
Montréal est grand comme un désordre universel
tu es assise quelque part avec l’ombre et ton cœur
ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
fille dont le visage est ma route aux réverbères
quand je plonge dans les nuits de sources
si jamais je te rencontre fille
après les femmes de la soif glacée
je pleurerai te consolerai
de tes jours sans pluies et sans quenouilles
des circonstances de l’amour dénoué
j’allumerai chez toi les phares de la douceur
nous nous reposerons dans la lumière
de toutes les mers en fleurs de manne
puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang
tu seras heureuse fille heureuse
d’être la femme que tu es dans mes bras
le monde entier sera changé en toi et moi
la marche à l’amour s’ébruite en un voilier
de pas voletant par les lacs de portage
mes absolus poings
ah violence de délices et d’aval
j’aime
que j’aime
que tu t’avances
ma ravie
frileuse aux pieds nus sur les frimas de l’aube
par ce temps profus d’épilobes en beauté
sur ces grèves où l’été
pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
et qu’en tangage de moisson ourlée de brises
je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
je roule en toi
tous les saguenays d’eau noire de ma vie
je fais naître en toi
les frénésies de frayères au fond du cœur d’outaouais
puis le cri de l’engoulevent vient s’abattre dans ta gorge
terre meuble de l’amour ton corps
se soulève en tiges pêle-mêle
je suis au centre du monde tel qu’il gronde en moi
avec la rumeur de mon âme dans tous les coins
je vais jusqu’au bout des comètes de mon sang
haletant
harcelé de néant
et dynamité
de petites apocalypses
les deux mains dans les furies dans les féeries
ô mains
ô poings
comme des cogneurs de folles tendresses
mais que tu m’aimes et si tu m’aimes
s’exhalera le froid natal de mes poumons
le sang tournera ô grand cirque
je sais que tout mon amour
sera retourné comme un jardin détruit
qu’importe je serai toujours si je suis seul
cet homme de lisière à bramer ton nom
éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
mon amour ô ma plainte
de merle-chat dans la nuit buissonneuse
ô fou feu froid de la neige
beau sexe léger ô ma neige
mon amour d’éclairs lapidée
morte
dans le froid des plus lointaines flammes
puis les années m’emportent sens dessus dessous
je m’en vais en délabre au bout de mon rouleau
des voix murmurent les récits de ton domaine
à part moi je me parle
que vais-je devenir dans ma force fracassée
ma force noire du bout de mes montagnes
pour te voir à jamais je déporte mon regard
je me tiens aux écoutes des sirènes
dans la longue nuit effilée du clocher de Saint-Jacques
et parmi ces bouts de temps qui halètent
me voici de nouveau campé dans ta légende
tes grands yeux qui voient beaucoup de cortèges
les chevaux de bois de tes rires
tes yeux de paille et d’or
seront toujours au fond de mon cœur
et ils traverseront les siècles
je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
lentement je m’affale de tout mon long dans l’âme
je marche à toi, je titube à toi, je bois
à la gourde vide du sens de la vie
à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
à ces taloches de vent sans queue et sans tête
je n’ai plus de visage pour l’amour
je n’ai plus de visage pour rien de rien
parfois je m’assois par pitié de moi
j’ouvre mes bras à la croix des sommeils
mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
je n’attends pas à demain je t’attends
je n’attends pas la fin du monde je t’attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie »
Gaston Miron, la marche à l’amour
Kenneth Josephson, Chicago
Laure Albin Guillot, Le vent dans la plaine, 1948, tirage au charbon. Illustration pour les Préludes de Claude Debussy
John Cage, 1959
« Tous les musiciens vous diront, Massimo, qu’ils ne vivent que pour leur musique, mais ce n’est pas vrai. S’ils le croient, ils ne font que se duper. Ils vivent pour que leur nez soit dans les journaux, pour être applaudis et adorés partout où ils vont. C’est pire que de nettoyer les caniveaux, a-t-il dit. Un véritable musicien devrait être capable de nettoyer les caniveaux, il devrait être capable de se battre dans les tranchées, il devrait être capable de travailler dansun bureau ou dans un hôpital parce qu’il a créé un espace de solitude en lui-même où la musique pourra être écrite.
(…)
Quand on est un véritable musicien, Massimo, un véritable musicien et qu’on entend avec son oreille intérieure et pas avec son oreille extérieure, alors, que les œuvres soient jouées ou pas ne fait aucune différence. (…) ce qui m’intéresse, c’est de trouver dans mon travail ce que ce travail a de commun avec ces traditions. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons aller de l’avant, a-t-il dit. Le reste n’est que pastiche(…) Parfois je restais assis auprès de lui toute la journée et il ne disait rien (…) parfois il ne s’habillait même pas et passait la journée au lit en pyjama, il m’était difficile de rassembler mon énergie, et décourageant aussi, oui monsieur, c’était chose décourageante (…) Certains jours néanmoins, il s’habillait avec autant de précaution qu’avant et s’asseyait à son bureau et à son piano. Pendant presque quarante ans Massimo, m’a-t-il dit, j’ai tenté d’atteindre le cœur du son, et pendant ce temps j’ai écrit quelques très grandes œuvres, mais je sens toujours que le mystère ultime m’échappe. C’est cela qui m’incite à continuer à composer, a-t-il dit (…) c’est ce qui continue à me faire vivre, l’impression que je dois rapporter ça intact de là-bas, lui donner une forme sans distraire de son altérité, du chaos et de la violence en son cœur. Le chaos est l’ordre, a-t-il dit, le chaos et l’ordre, c’est avec cela que les artistes ont toujours dû se battre. Les musiciens plus que les autres
(…) »
Gabriel Josipovici, Infini l’histoire d’un moment Quidam éditeur
où il est question dans ce texte du compositeur italien Giacinto Scelsi, de sa recherche du son créateur, comme le geste ultime et essentiel. Peu joué, (re)découvert à la fin de sa vie, dans les années 70 par de jeunes compositeurs français, il fût également poète.
Ernst Haas
« J’ai dit : Quel est le sens de tout cela ? Tu m’as répondu : Le sens a besoin de temps pour mûrir dans le sel de la terre. Peut-être d’un autre poète aussi, sans Troyens ni Grecs, qui regarderait un gouffre où il n’est pas tombé et qui deviendrait un lac. Nous nous contentons maintenant d’un salut de la main au lointain : Nous vivons encore, nous sommes capables de réécrire le texte grec car le dernier chapitre est ouvert jusqu’à l’infini.
L’allégorie, la métonymie, la métaphore, le trope
sont l’ombre de la parole, car l’image
d’une chose n’est pas la chose… ni son contraire.
C’est la ruse de la poésie pour nommer.
Dans l’allégorie, j’ai d’autres desseins,
comme laisser le chant
aller à sa guise…
se retourner à gauche, à droite,
sauter entre cieux et vallées,
traiter son mal
avec un peu d’ironie. »
Présente absence, Mahmoud Darwich, Actes Sud/Sindbad
à l’ombre des mots, luth, oud, la musique du trio Joubran et la poésie de Mahmoud Darwich
Ernst Haas par Elliot Erwitt
une maison silencieuse n’est pas une maison vide
j’aurai appris çales lien se tissent au grenier, à la cave, sous la paille des chaises
les fondations communiquent
https://alfeecompagnie.wordpress.com/2016/04/03/un-peu-de-demain/
…Un peu de demain…
Iannis Xenakis
« Chère Mâa,
j’ai lu ta lettre avec joie. Tu me manques beaucoup mais ce qui me console c’est la qualité de ton caractère, droit, fort et intelligent, malgré déceptions et tristesses qui sont notre lot à tous. Il faut apprendre à déjouer notre tendance à rêver bêtement donc à être déçu. Il est plus difficile mais combien plus lumineux de se hisser à une clairvoyance des choses et des gens donc de nous-même beaucoup plus profonde que celle où notre paresse quotidienne nous entraîne. Mais cette clairvoyance, ce sang froid du regard ne doit absolument pas amortir, fléchir, abattre notre action éperdue. Donc il faut se dédoubler mais rester un à la fois. Je dis ça parce que c’est mon expérience renouvelée donc toute fraîche dans les misères de mes échecs ou de ceux que je rencontre. Toi qui as tant de talent dans l’œil et la main tu laisses filer le temps. Nous sommes de la race de ceux qui sont foncièrement inquiets à perpète.
Le seul moyen de s’en sortir est de vivre avec cette angoisse en la détournant vers l’action de la main et de la tête. Pas de passivité, c’est la mort. Se délecter dans le passif est une forme de maladie.
(…)
Ne pense pas à la gloire, pense aux choses mêmes, fais-les.
I.X.72″
lettre de Iannis Xenakis à sa fille Mâkhi
publié dans Iannis Xenakis, un père bouleversant de Mâkhi Xenakis, édition Actes Sud